◢ Houston, i think we got a problem.

« Je n'ai pas eu de drames particulièrement traumatisant dans ma vie, si ce n'est la mort de Joe, le poisson rouge que j'ai eu pour mon huitième anniversaire. J'ai déversé toutes larmes de mon corps pour lui, et je m'en rappelle comme si c'était hier. C'est sans doute de là que vient mon dégoût profond pour les animaux, je ne peux pas les voir. On me traite de « sans coeur », parce que lorsque j'en vois un, je ne deviens pas toute chose, et pour être honnête, je m'en fous. J'adore dire ça « je m'en fous », je le dis au moins quatre à cinq fois par jour. Enfin bref, je vais faire la fille civilisée et commencer par me présenter convenablement. Je m'appelle Ana, pas de « nana » ou autre surnom ridicule. Sérieusement, mon prénom n'est pas assez court comme ça ? Mon nom complet, celui donc, qui figure sur mon acte de naissance est Ana Beatriz Richard-Oliveira. Tout ça rien que pour moi, oui oui. Vous l'aurez compris, je ne suis pas d'origine polonaise, mes cheveux ne sont pas blonds, et mes yeux sont loin d'être bleu océan. Mon père est français d'origine, il est né à Paris mais a été brésiliannisé par ma mère, il y'a une trentaine d'années maintenant. Ma mère est donc, brésilienne, native de São Paulo. Peu de personnes me croient d'ailleurs, lorsque j'énonce mes origines. Ça doit sans doute être parce que de nos jours, les gens, les adolescentes pré pubères en particulier s'en inventent tous les quatre matins. J'ai passé les cinq premières années de ma vie à Londres, autant dire que je m'en rappelle à peine. Mon père y a été affecté, il donc du trimbaler toute la famille avec lui, c'est-à-dire ma mère, ma sœur Paloma qui est mon aînée de six ans, et moi. Mais les choses ont mal tournées, je ne sais plus exactement pourquoi. On ne cessait de me répéter que c'était des « histoires de grandes personnes », alors j'avais hâte d'être une adulte, pour enfin comprendre tout ce que l'on pouvait me cacher. Puis avec du recul, on est franchement mieux enfant, c'est connu. Mes parents ont divorcé, et plutôt que de rentrer chez elle au Brésil, ma mère a préféré nous faire découvrir la France. Malgré leur séparation, on pouvait toujours sentir leur amour mutuel pour la culture de l'autre, ce qui m'a toujours rendue assez fière. Je n'ai jamais su pourquoi ils se sont séparés, pas même en grandissant. C'est comme si je m'adressais à un mur lorsque je posais des questions, alors j'ai arrêté, et j'ai appris à vivre avec ça. Je devais avoir six ans, ma sœur onze lorsqu'on est venues s'installer en France. Les débuts ont été difficiles, mais on s'y est faites. Après ça, je n'ai pratiquement plus vu mon père, c'était à base d'appels une fois par mois, puis tous les trois mois, puis une fois par an. Puis progressivement, il s'est transformé en étranger, il était simplement mon géniteur, triste réalité. Ma mère et sa bonne humeur latine faisaient tout pour nous remonter le moral, même les choses les plus stupides. Et ça fonctionnait, au début. Après, j'ai commencé à faire semblant, on fait tous semblant d'aller bien par moment, non ? Pour certaines personnes ça dure juste plus longtemps que d'autres. Les années ont passé et j'ai laissé cette peine derrière moi, j'ai laissé l'enfant blessée pour devenir une jeune fille drôle et insouciante. Enfin, insouciante c'est ce que l'on pense de moi au premier abord, mais il n'en n'est rien. Du moins pas autant qu'on le croit. J'ai toujours été une bonne élève, le genre qui ne travaille pas des masses mais qui arrive à s'en sortir quand même. L'année de mes dis-huit ans a certainement été celle qui m'a le plus marquée. La majorité, ça donne des ailes comme on dit ! Jusque là, j'avais toujours eu des appréhensions sur l'amour, alors je me suis juste contentée de relations brèves et sans futur, jusqu'à ce que je me laisse prendre à mon propre jeu. Lucas du Dresnay, ou celui qui a fait chaviré mon cœur. Aujourd'hui, cette relation m'a laissé un goût amer. Comme on dit, trop d'amour tue l'amour, ou il le détruit partiellement. A dix-neuf ans, j'ai décidé de m'en aller, trop de souvenirs douloureux dans la capitale, alors je suis partie. Je suis venue habiter chez ma sœur à La Rochelle, juste avant que je ne rencontre Maxime. C'est un véritable coup de cœur amical, bien que peu de personnes nous croient. Chacun a un avis sur la relation qui nous unit d'ailleurs, et il n'est jamais réellement positif, mais peu importe. On s'amuse, on se comprend, on ne se prend pas la tête. On s'y plait, que ça plaise ou non. Que ça plaise à son boulet de sœur, ou non. Cette petit -bien qu'elle soit plus vieille que moi- m'exaspère, et c'est peu dire. Enfin bref, vis-ma-vis de jeune célibataire de vingt-trois ans. »