« Les alliés alliènent, et des prisons dans la plaine. » •• LAZARE.

• TOI ET MOI CONTRE LE RESTE DU MONDE •

Déjà, vous êtes d'accord avec moi pour dire que Lazare, ça fait nom de paysan n'est-ce pas ? Genre mes parents se sont dis "il aurait Deschamps déjà en nom de famille, on va en rajouter une couche". Mais quels sadiques. Je déteste ce prénom. Lazare quoi. Ça fait vieux révolutionnaire des années 1900. Bref. Je suis né à Paris. Non, j'suis pas né ici. Alors qu'est-ce que je fous à la Rochelle, hein ? Bon, et si vous me laissiez le temps de parler, p't'être que ça irait plus vite non ? Donc, j'suis né à Paris. Mes parents étaient loin d'être des paysans en fait. Ils étaient tous les deux des avocats de renommée. Connus sur les bancs de la fac de droit et depuis, mariés, avec leurs embrouilles et leurs histoires. Leurs affaires et leurs rivalités professionnelles. Bref. Quand ils ont décidé d'avoir un gosse, un seul et unique gosse parfait, le destin leur a joué un sale tour. Parce qu'ils en ont eu deux. Du côté de ma mère, ils avaient tous des jumeaux, ça a dû jouer j'pense, parce qu'ils nous ont fait jumeaux, ma soeur et moi. Ils ont fini par se dire qu'ils auront deux enfants modèles. Tu parles. De suite, ils ont compris qu'y en avait un des deux qui allaient dégénérer. J'crois que dès le départ, ils savaient que ça allait être moi. P't'être que c'est pour ça qu'ils m'ont mis de côté direct. Comme si ça les déculpabiliserait si jamais je tournais mal.

• CHAQUE JOUR DE LIBERTÉ EST UN ACTE DE FOI •

Mais j'me suis jamais laissé faire en fait. J'me suis toujours imposé. Ils voulaient que ma soeur devienne avocate, comme eux. Dès qu'elle est rentrée en CE1, elle avait déjà la tête prête à exploser. Alors moi, je l'aidais à s'amuser comme une gamine normale. On était comme les deux doigts d'une main. J'étais toujours là pour elle. Elle aussi, mais c'était souvent moi qui lui venais en aide que le contraire. Parce que ma petite Olympe, elle est rapidement devenue la prunelle de mes yeux. A l'école primaire, dès qu'un garçon lui cherchait des noises, je venais lui casser la gueule. Alors oui, j'suis vite devenue le gosse le plus convoqué de ma grande école. Mais je m'en foutais. J'voulais pas qu'on touche à ma petite princesse. Les gens qui ne nous connaissaient pas pensaient qu'on était ensemble. Puis quand j'annonçais que c'était ma jumelle, ils tiraient une tronche de trois kilomètres. Pourtant moi j'ai toujours trouvé qu'on se ressemblait. Enfin bref. On a grandit comme ça. Elle poursuivait une scolarité sans failles, et moi je lui dégageais le chemin en accumulant les convocations. Mes parents ont finit pas ne plus y attacher trop d'importance. Pour eux, dès le départ, j'étais raté. Sur les deux, il en faut bien un qui soit défaillant n'est-ce pas ? Alors c'est triste, mais pour eux c'était moi. Pourtant, j'avais des bons résultats à l'école. Sans trop d'efforts en plus. Quand on a eu douze ans Olympe et moi, mes parents ont décidé de déménager à la Rochelle. J'sais même plus pourquoi, j'ai dû oublier. On a donc fait notre collège, et le début de notre lycée toujours comme ça. A quatorze ans, j'ai découvert la cigarette et c'est là que j'ai commencé à fumer, à boire, et à m'intéresser aux filles autrement que pour leur tirer les cheveux. Précoce ? Peut-être. Mais nos parents ne savaient pas gérer. Ils cadraient trop Olympe au point qu'elle se retrouve enfermée dans leurs règles et moi, j'avais la voie libre. S'ils avaient été là, p't'être que j'aurais pas commencé tout ça si tôt, qui sait. Bref. J'étais toujours le même avec Olympe. Le jour où je l'ai vue avec une cigarette à la bouche, à quinze ans, je me suis énervé contre elle si fort qu'elle n'a plus jamais touché une seule clope depuis. Je voulais la meilleure vie pour elle. Je voulais qu'elle soit heureuse. Je voulais qu'elle réussisse. Dès qu'un mec s'approchait trop d'elle, il se retrouvait avec mon poing dans la gueule. J'suis pas tellement violent, juste qu'on touche pas à ma petite Olympe. Elle réussissait ses années brillamment et honnêtement, je crois que j'y étais un peu pour quelque chose. Elle n'a jamais trop manifesté que j'étais trop présent. En fait, j'crois que comme ça, elle se sentait rassurée. Parce que dès l'entrée au lycée, nos parents se sont mis à s'engueuler tout le temps. Du coup, ils s'occupaient même plus d'elle. Mais moi je la cadrais toujours. Donc j'pense qu'elle se sentait en sécurité comme ça, et pas abandonnée dans ce monde de barbare. Puis arriva notre année de terminale.

• NOTRE REVANCHE, C'EST DE SURVIVRE •

On avait donc dix-sept ans tous les deux. Toujours aussi soudés. On était les deux doigts d'une même main. Elle fermait les yeux sur les filles que je voyais et que j'enchainais, même si je sais qu'elle n'aimait pas ça du tout. Et puis ça nous tomba dessus comme ça d'un seul coup. Un soir, on rentrait du lycée ensemble. Devant chez nous, y avait trois voitures de flics. J'ai trouvé ça louche ; Olympe effrayant. Elle s'est blottie contre moi & j'ai avancé en la tenant fermement. Dans notre maison, les agents fouillaient dans les bureaux de nos parents. Quand ils nous ont vu, trois d'entre eux sont venus nous parler à part, avec une assistante psychologique. Morts. Ils nous annoncèrent que nos parents étaient morts. Plus là. Accident de voiture ? Non, même pas. Ils avaient été tués. Par un client qu'ils n'avaient pas réussi à protéger. Un client, meurtrier, qu'ils n'avaient pas réussi à éviter de la prison. Un client qui avait décidé de se venger. Et qui les avait éliminé tous les deux. Je me souviens de ma réaction. Ou plutôt de mon absence de réaction. Je suis resté de marbre, ne comprenant pas ce qu'on me racontait. Olympe, elle, s'est effondrée en longs sanglots. Nos parents allaient lui manquer. Pas beaucoup à moi. Avec ou sans eux, j'aurais autant d'attentions. Le problème, nous expliqua la police, c'est qu'on était en danger aussi, maintenant. Et que le temps que le mec soit gaulé, il fallait nous cacher. On termina notre année de terminale planqués comme des fugitifs dans un foyer de protection. On réussit à avoir notre bac quand même. Et pendant les vacances d'été, le mec fut capturé. On venait d'ailleurs dix-huit ans, c'était parfait, pas besoin de passer par la case orphelinat. On s'installa tous les deux. Nos parents nous avaient laissé un héritage considérable. Et je ne voulais pas abandonner Olympe, c'était hors de question. Elle commençait un peu à se plaindre de son manque de liberté, mais je sais qu'elle comprenait que j'avais besoin de la protéger, maintenant que plus personne d'autre ne le pouvait. La mort de nos parents l'a beaucoup affectée. Je me souviens, dans le foyer de protection, elle avait cessé de manger pendant deux semaines. Puis elle a réussit à passer le cap. Grâce à moi, sans me vanter bien sûr. Sauf que comme mes parents l'avaient prévu, moi j'ai mal tourné. Elle entrait en fac de droit pour entamer de brillantes études et moi j'enchaînais les petits jobs pour survivre. On avait de l'argent, oui, mais je le laissais de côté au cas où on en avait vraiment besoin un jour, ou bien pour payer les études d'Olympe. Et puis je détestais toucher cet argent que je trouvais sale, trop facile, trop facilement accessible. Puis un jour, en servant, je rencontrai un jeune flic. Il venait d'être nommé agent de la sécurité, et il avait mon âge – j'en avais alors dix-neuf. Et je me souvins alors des flics enquêtant sur le meurtre de mes parents. Et je sus que c'est ce genre de métier qui m'aiderait à évacuer toute la colère que j'avais contre le monde entier depuis des années. Alors, je devins flic. Pas ceux qui foutent les contraventions ou bien qui font la circulation. Non, j'étais parfait pour être de ceux qui enquêtent, qui sont appelés sur les scènes de crime, qui doivent poursuivre un meurtrier. Parce que j'avais peur de rien.
A vingt ans, on se quitta. Olympe en avait marre de voir tous les soirs une fille différente dans mon lit. Et on avait besoin d'intimité tous les deux. Donc je lui laissai la maison de nos parents et vagabondais de colocations en colocations. J'avais pas besoin d'attache fixe, j'avais juste besoin de liberté. Je venais la voir souvent. On était toujours pareil l'un avec l'autre, et dès qu'un mec menaçait de la briser, elle venait me le dire. Je le recadrais immédiatement. J'avais toujours ce rôle auprès d'elle et on partageait de nombreux moments ensemble, même si parfois, en grandissant, ils devenaient parfois ambiguë. Mais on s'en foutait. C'était elle et moi contre le reste du monde. Elle continuait ses études, et moi je montais en grade, jusqu'à devenir lieutenant de ma section. Je pouvais être appelé n'importe quand. Mais ça me plaisait. L'amour ? Ah, jusqu'ici, jamais cette destructrice fleur ne m'est tombée dessus.